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Valorisation des fonds immobiliers : les conséquences opérationnelles des contrôles SPOT de l'AMF

La synthèse des contrôles SPOT réalisés sur la valorisation des actifs peu liquides inscrits au bilan des OPCVM et des FIA tire des enseignements particuliers en matière de fonds immobiliers, en faveur d'une information toujours plus précise et documentée.

Dans un contexte médiatique particulièrement focalisé sur les annonces faites par certains gestionnaires de fonds immobiliers de procéder à une actualisation – à la baisse – des valeurs des parts ou actions de certains de leurs fonds immobiliers ouverts au grand public, l’AMF a publié en juillet 2023 une synthèse riche en enseignements des « contrôles SPOT » qu’elle a précisément pu mener sur cette thématique d’actualité relative à l’évaluation de fonds d’investissement exposés à des classes d’actifs peu liquides (Contrôle SPOT - synthèse relative à l’exercice de supervision coordonnée par l’ESMA sur l’évaluation des OPCVM et FIA, juill. 2023) .

Bien que couvrant différentes typologies d’actifs, ce rapport trouve une résonance toute particulière s’agissant des fonds immobiliers, et ce du fait notamment des spécificités pouvant exister en matière de valorisation immobilière mais également des circonstances de marché pour le moins mouvementées auxquelles ont dû faire face les acteurs du secteur au cours de ces dernières années.

C’est donc sous ce prisme immobilier que nous envisagerons les principaux enseignements pouvant être tirés de ce rapport de synthèse, lequel a impliqué pas moins de 11 sociétés de gestion de tailles variées mettant en œuvre des stratégies immobilières par le biais de véhicules grand public de type OPCI, SCPI ou encore « Autres FIA » référencés en unités de compte.

Certains de ces enseignements sont clairement formalisés sous forme de « bonnes » ou « mauvaises » pratiques par l’AMF, tandis que d’autres sont plus subtilement distillés dans le corps de son rapport. L’AMF précise expressément que celui-ci ne dispose d’aucune valeur normative particulière, n’étant ni une position ni une recommandation stricto sensu. L’autorité rappelle néanmoins que certaines des insuffisances constatées par l’AMF dans le cadre desdits contrôles « peuvent s’apprécier comme des manquements réglementaires ».

Remarque : le message est certes implicite mais il n’en demeure pas moins clair : ces rapports de synthèse ont, eux aussi, un rôle important à jouer dans la définition des standards de marché attendus des sociétés de gestion. L’AMF n’aura d’ailleurs pas tardé à le rappeler, comme en atteste une décision de la Commission des sanctions du 5 septembre 2023 (évoquant notamment la nécessité de disposer de procédures de valorisation suffisamment détaillées et opérationnelles ainsi que d’un dispositif de valorisation documenté et traçable (Déc. AMF CDS n° 11, 5 sept. 2023 : mise en ligne 7 sept.).

Contexte réglementaire applicable en matière d’évaluation et enjeux pratiques

Les sujets de valorisation ne se limitent pas à de simples analyses chiffrées, ils sont avant tout la résultante d’un cadre réglementaire bien normé applicable aux sociétés de gestion.

Les gestionnaires de FIA sont en effet tenus par la réglementation de disposer de procédures internes de valorisation des actifs dans lesquels les FIA qu’ils gèrent ont vocation à investir. Chaque grande typologie d’actifs concernée doit ainsi faire l’objet de règles et modèles de valorisation dédiés (Règl. délégué (UE) n° 231/2013 de la Commission, art. 67 et s.), et les stratégies immobilières n’échappent pas à ce principe.

Ces dispositifs de valorisation s’articulent autour d’une personne clé : « l’évaluateur indépendant » (Dir. 2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil, 8 juin 2011, dite directive AIFM ; C. mon. fin., art. L. 214-24-15).

Des prestataires tiers peuvent ensuite être impliqués dans le cadre de ce processus d’évaluation. Les « délégataires de la gestion comptable » par exemple participent à l’établissement de la valeur liquidative. Surtout, dans l’univers des fonds immobiliers de droit français agréés par l’AMF, la réglementation issue du fonds lui-même requiert généralement la désignation d’un ou plusieurs experts externes en évaluation en vue de procéder à la valorisation des actifs immobiliers détenus par ledit fonds.

C’est ensuite à l’évaluateur indépendant AIFM, ultime décisionnaire dans cet écosystème de valorisation, que reviendra néanmoins le dernier mot quant à la valeur liquidative à retenir pour les fonds ainsi gérés.

Les différentes règles de valorisation des actifs ainsi établies ont donc en toute logique vocation à permettre à la société de gestion de déterminer la valeur liquidative des parts ou actions des fonds ainsi gérés et donc, in fine, leur valeur de souscription ou rachat. De ce premier maillon de la chaîne relatif à la valorisation des actifs découle ainsi un ensemble d’enjeux, au premier rang desquels figure la préservation des intérêts des investisseurs ou encore le respect des ratios applicables aux fonds immobiliers ainsi gérés.

Mérites relatifs à l’existence d’un comité de valorisation et enjeux relatifs à l’indépendance de l’évaluateur AIFM

A titre de pratique de marché observée dans le cadre de ses contrôles, l’AMF décrit un circuit relativement récurrent en matière de valorisation. Ce circuit se compose :

  • d’une transmission initiale par les équipes d’asset/fund management d’informations concrètes et opérationnelles à l’expert externe en évaluation. L’AMF salue le recours à divers outils et/ou bases de données directement accessibles et consultables par les différents protagonistes impliqués, notamment les experts externes en évaluation, afin de faciliter et fluidifier les échanges d’informations ;
  • d’une expertise ou actualisation de valeur faite par cet expert) ;
  • d’un contrôle de cohérence effectué par l’évaluateur AIFM ; puis
  • d’une ultime validation dans le cadre d’un « comité de valorisation » des valeurs ainsi retenues. L’évaluateur AIFM est le signataire du procès-verbal dudit comité afin d’éviter que ne soit reprochée à la société de gestion une atteinte aux prérogatives réglementaires dévolues à celui-ci.

L’AMF prend ainsi note de la création et de l’intervention récurrente d’un « comité de valorisation » au sein des sociétés de gestion. Généralement doté d’une dimension pluri-expertise (fonctions de gestion, risques, conformité et/ou direction ainsi qu’évaluateur AIFM), ce comité facilite la réconciliation des informations de valorisation. Le recours à ce comité expressément reconnu par l’AMF au titre des bonnes pratiques peut être utilement systématisé à l’ensemble des évaluations, écartant par là même une pratique limitant le recours au comité en cas de réserve émise par l’évaluateur AIFM sur les données de valorisation qui lui sont transmises par l’expert. L’AMF soulève toutefois le point d’attention suivant : ce comité de valorisation doit certes être envisagé comme un maillon complémentaire du processus d’évaluation mais il n’a en revanche pas vocation à se substituer au rôle de l’évaluateur AIFM (Règl. délégué (UE) n° 231/2013 de la Commission, art. 67) .

Nécessité de disposer de procédures de valorisation plus granulaires

Pour être agréées, les sociétés de gestion doivent disposer de procédures adaptées en matière de valorisation . Bien que contrôlant avec vigilance le respect par les sociétés de gestion de cette exigence lors de leur création, l’AMF ne se plongera qu’occasionnellement, durant cette phase initiale d’agrément, dans le détail technique des procédures de valorisation.

Or, c’est précisément cette analyse plus approfondie que l’AMF a pu mener dans le cadre des présents contrôles SPOT et son principal constat est sans appel : les procédures mises en œuvre par les sociétés de gestion en matière de valorisation se doivent de gagner en granularité.

L’AMF salue ainsi implicitement la distinction – et la clarté corrélative – pouvant résulter de procédures dédiées relatives aux grandes séquences du circuit de valorisation : valorisation (méthodes, intervenants, outils et données utilisés…), sélection et suivi des experts ou encore établissement de la valeur liquidative.

Désignation et rôle des experts externes en évaluation

Sélection et désignation

On notera à titre préliminaire qu’en matière immobilière, la désignation de tels experts résulte généralement de la réglementation relative aux fonds gérés (ex. SCPI, OPCI) et est cantonnée à une valorisation des actifs immobiliers détenus par lesdits véhicules.

En recourant à ce type de prestataire, une société de gestion doit donc être en mesure de démontrer que ce dernier est dûment qualifié et que toute la diligence requise a été mise en œuvre pour sa sélection (Règl. délégué (UE) n° 231/2013 de la Commission, art. 67).

L’AMF souligne à ce titre l’intérêt des procédures détaillées prévoyant notamment les critères de sélection considérés ainsi que leur pondération, les modalités de suivi des experts (périodicité des revues ainsi que critères utilisés) ou encore les principaux termes contractuels devant être inclus dans les conventions à conclure avec lesdits experts.

S’agissant de la mise en œuvre concrète de la procédure de sélection elle-même, l’AMF érige en guise de bonne pratique le fait de sélectionner les experts sur la base d’un panel représentatif et sur la base de critères les plus objectifs possibles. Elle considère que l’adhésion des experts à une association professionnelle (et notamment l’AFREXIM , expressément citée) peut raisonnablement être considérée comme une indication positive dans le cadre des procédures de sélection ainsi mises en œuvre.

Rôle

Sur les 8 823 valorisations renseignées au titre de 590 actifs sur la période 2019-2020, 8 606 valorisations retenues dans le cadre de l’établissement de la valeur liquidative d’un fonds par les sociétés de gestion ont été identiques à l’évaluation faite par l’expert externe en évaluation (soit 97,6%). Cette donnée, bien qu’à relativiser car incluant les réconciliations de valeurs de premier niveau ayant pu intervenir entre certains opérationnels de la société de gestion et l’expert externe, met néanmoins en exergue le rôle crucial joué par l’expert externe dans le circuit de valorisation des actifs immobiliers.

L’AMF rappelle dans le même temps que les sociétés de gestion se doivent de véritablement revoir les valeurs qui leur sont transmises par l’expert et ne doivent pas être assimilées à de simples chambres d’enregistrement. Les sociétés de gestion sont ainsi tenues de conserver, par le biais de leur évaluateur AIFM, un esprit critique lors de la validation des valeurs ainsi qu’une véritable capacité de « confrontation » (sic) des analyses reçues.

Exigences de traçabilité

Pour chacune des étapes du processus d’évaluation, l’AMF insiste sur la nécessité de dûment formaliser les échanges, conclusions, analyses et autres éléments pertinents résultant du circuit de valorisation.

La « traçabilité » des données et des interventions des différents protagonistes de cette chaîne, qu’ils soient internes à la société de gestion ou qu’il s’agisse de prestataires externes, constitue ainsi l’un des points d’attention soulignés en filigrane par l’AMF.

La sélection des experts, par exemple, doit en principe pouvoir être documentée, et plus particulièrement les éléments permettant d’attester du processus de meilleure sélection mis en œuvre par la société de gestion (mise en concurrence, grilles de notation et notes obtenues, etc.).

Problématiques de valorisation et gestion des risques

L’AMF constate la stabilité apparente des valeurs attribuées aux actifs immobiliers et, in fine, des modèles de valorisation utilisés qui appréhendent peu – ou tardivement - certaines circonstances de marché, notamment en cas de crise. Ce point est d’autant plus d’actualité qu’il a fait l’objet d’un courrier spécifiquement adressé par l’AMF à l’ASPIM, en date du 7 juillet 2023, au titre duquel l’AMF requiert expressément des sociétés de gestion (principalement de SCPI et d’OPCI) qu’elles procèdent aux actualisations nécessaires des valeurs liquidatives des fonds immobiliers ainsi gérés . L’autorité rappelle également au demeurant toute l’importance qu’elle accorde au déploiement d’outils de gestion de la liquidité par les sociétés de gestion en cas de « turbulences sur les marchés » (sic) (Communiqué AMF, 6 oct. 2022 ; Règl. gén. AMF, art. 422-129-1 et 422-134-1 pour les OPCI ; v. notre article).

Remarque : les difficultés à refléter certains évènements exceptionnels dans les systèmes de valorisation résultent aussi et surtout, à notre sens, de l’absence de visibilité et d’informations dont disposent les différents acteurs impliqués, rendant ainsi cet exercice d’adaptation des valeurs très aléatoire. C’est là en réalité l’essence même du caractère peu liquide des actifs immobiliers.

Un décalage peut ainsi se créer entre les valeurs issues de ces modèles de valorisation et la valeur réelle des actifs concernés.

Sous un angle plus réglementaire, ces sujets peuvent, comme le souligne à juste titre l’AMF, générer des problématiques d’équité entre porteurs, notamment en cas de mouvements au passif du fonds conduisant à des souscriptions ou rachats qui ne seraient pas totalement basés sur une valeur actualisée des actifs. Ces délais dans le processus de valorisation peuvent favoriser certaines opérations d’arbitrage de la part d’investisseurs qui sont susceptibles de profiter de ces décalages de valorisation pour procéder à un rachat de leurs actions sur la base de valeurs liquidatives non décotées, et ce en appliquant ainsi une logique relativement similaire à celle inhérente aux pratiques de « market timing » par ailleurs condamnées par l’AMF.

Ces enjeux relatifs aux méthodes de valorisation ne sont pas sans incidence sur le respect des ratios réglementaires et/ou contractuels applicables aux fonds immobiliers, tout « ajustement » à la baisse des valorisations étant en effet susceptible de générer une dégradation desdits ratios. Outre le classique ratio immobilier, ces incidences pourront se répercuter sur certains autres ratios tels que le ratio d’endettement déclenchant dès lors la nécessité pour la société de gestion d’envisager des mesures de remédiation.

L’effet psychologique d’éventuelles baisses soudaines de valeurs auprès des investisseurs ne doit également pas être sous-estimé, comme en atteste l’actualité. C’est ainsi que l’AMF mentionne d’ailleurs comme bonne pratique le fait d’adapter à la hausse la fréquence des « stress tests » de liquidité réalisés par les sociétés de gestion, voire de procéder à la mise en œuvre de stress tests ad hoc lorsque les circonstances de marché le justifient. Le message est donc à la prévention et à l’anticipation en matière de gestion du risque de liquidité, et ce afin de conférer aux sociétés de gestion un peu plus de marge d’action en cas de dégradation de la liquidité, avant que n'aient à être envisagées des mesures plus significatives telles qu’un échelonnement des demandes de rachat (gating), voire une suspension desdites demandes.

Transparence à l’égard des investisseurs

En matière de bonne information des investisseurs, l’AMF constate le faible effort de transparence des sociétés de gestion s’agissant des aspects relatifs à la valorisation.

Tant les documents d’informations clés, les prospectus que les rapports périodiques publiés par les sociétés de gestion incluent très peu d’informations – ou le cas échéant des informations trop génériques - sur les processus et méthodes d’évaluation mis en œuvre par les sociétés de gestion, ce que l’AMF identifie clairement comme une mauvaise pratique.

L’AMF ne préconise pas l’usage d’un support de communication particulier par rapport à un autre pour satisfaire à cette exigence de bonne information des investisseurs, laissant donc la possibilité aux sociétés de gestion soucieuses de ne pas trop alourdir la documentation constitutive de leurs fonds de prévoir une telle information dans le cadre des rapports périodiques transmis à leurs investisseurs. Le message de l’AMF demeure néanmoins limpide : en matière de procédures comme de bonne information, l’heure est à la granularité.

*Article publié le 20 novembre 2023 sur le site des Éditions Législatives (disponible en ligne ici)