La réforme du droit des contrats - Les principaux éléments à retenir de la Loi de Ratification
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Deux ans après l’ordonnance réformant le droit des contrats (l’Ordonnance), les parlementaires ont adopté, le 11 avril 2018, la loi de ratification de l’Ordonnance qui clarifie quelques difficultés d’interprétation et modifie certaines dispositions critiquées par la doctrine. Hormis un nombre restreint de dispositions qui s’appliqueront aux actes juridiques conclus à compter du 1er octobre 2018, les autres articles seront donc d’application immédiate pour les actes conclus depuis le 1er octobre 2016.
1 - La négociation du contrat
Quelques clarifications utiles ont été apportées par la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (la Loi de Ratification).
2 - La formation du contrat
Définition du contrat d’adhésion et limitation du champ du déséquilibre significatif (C. civ. Art. 1110 et 1171) - Alors que l’article 1110, dans sa version actuelle, énonce « le contrat de gré à gré est celui dont les stipulations sont librement négociées entre les parties. Le contrat d'adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l'avance par l'une des parties », la Loi de Ratification a redéfini ces deux contrats dans les termes suivants « le contrat de gré à gré est celui dont les stipulations sont négociables entre les parties. Le contrat d'adhésion est celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties ». Dans le contrat de gré à gré, le terme « librement négociées » est donc remplacé par « négociables » alors que le contrat d’adhésion n’est plus celui « dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l'avance par l'une des parties ».
Le contrat doit donc désormais comporter un ensemble de clauses non négociables pour être considéré comme un contrat d’adhésion. Au contraire, l’absence de négociabilité de quelques clauses accessoires, telles que les modèles de clauses d’arbitrage insérés dans de nombreux contrats, ne devrait pas permettre de considérer qu’il s’agit d’un contrat d’adhésion.
L’article 1171 a également été modifié sur proposition du Sénat et précise désormais que le déséquilibre significatif s’applique à « toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties ». Seules les clauses non négociables du contrat d’adhésion pourront donc créer un déséquilibre significatif. Au contraire, une clause librement négociée du contrat d’adhésion ne pourra servir de fondement à une action en déséquilibre significatif. Ces modifications s’appliqueront aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2018.
Le pouvoir maintenu du juge de réviser le contrat en cas d’imprévision (C. civ. Art. 1195) - Alors que le Sénat souhaitait supprimer le pouvoir de réviser le contrat en cas d’imprévision (seule une résiliation aurait alors été possible), cette faculté a été conservée car les députés ont considéré que ce pouvoir donnait son efficacité au dispositif et constituait une incitation forte pour les parties à parvenir à un accord. De plus l’argument selon lequel le pouvoir de révision judiciaire créerait une atteinte disproportionnée au droit des contrats a été écarté puisque l’article 1195 est supplétif de volonté.
L’exécution forcée en nature (C. civ. Art. 1221) - La Loi de Ratification ajoute une précision concernant la possibilité pour le débiteur de résister à une demande en exécution forcée en opposant que la mesure est disproportionnée. En effet, cette faculté sera réservée au débiteur de bonne foi, c’est-à-dire à celui qui a tenté loyalement d’exécuter le contrat avant d’opposer l’exception. Cette modification est considérée aux termes de l’article 15 de la Loi de Ratification comme ayant un caractère interprétatif et devrait donc s’appliquer immédiatement pour les contrats conclus à compter du 1er octobre 2016.
Cession de contrat (C. civ Art. 1216-3) - Alors que l’article 1216-3 dans sa version actuelle énonce que si le cédant est libéré par le cédé, les sûretés consenties par les tiers ne subsistent qu'avec leur accord, la Loi de Ratification ajoute que les sûretés consenties par le cédant ne subsistent également qu'avec son accord. La modification apportée à l’article 1216-3 fait suite aux reproches qui avaient été formulés du fait de l’asymétrie des situations visées aux deux premières phrases de l’article quant au sort des sûretés dans une cession de contrat. En effet, la deuxième phrase de l’article ne traitait que du sort des sûretés consenties par des tiers (en cas de la libération du cédant) sans aborder le sort des sûretés consenties par le cédant ou par le débiteur cédé. L’article 1216-3 précise désormais que les sûretés accordées par le cédant reçoivent le même traitement que celles accordées par les tiers, ce qui est parfaitement logique. Cette modification a un caractère interprétatif et devrait donc s’appliquer immédiatement pour les actes conclus à compter du 1er octobre 2016.
Les travaux parlementaires apportent cependant une clarification utile sur une autre question qui avait fait l’objet d’un débat en doctrine ainsi que parmi certains praticiens. Le débat portait sur la question de savoir si la formulation de l’article 1216-1 (qui dispose « si le cédé y a expressément consenti, la cession de contrat libère le cédant pour l’avenir ») autorisait bien le cédé à consentir à la libération du cédant « par avance », ou si ce consentement ne saurait être donné qu’au moment de la cession. Certains observaient la dissymétrie de rédaction entre l’article 1216 qui indique explicitement que le consentement à la cession peut être donné par avance, et l’article 1216-1 où cette précision ne figure pas lorsqu’il s’agit du consentement à la libération du cédant. La commission des lois du Sénat, ayant considéré la question, a estimé que l’article 1216-1 devait être interprété comme n’imposant aucune condition particulière pour le consentement à la libération du cédant et a jugé inutile de modifier le texte de l’article. Cette interprétation ne saurait surprendre car on ne voit pas pourquoi le législateur irait à l’encontre de la volonté des parties qui auraient prévu, à l’avance, les conditions de la libération du cédant.
Ainsi en est-il de la précision apportée au nouvel alinéa 2 de l’article 1327 prévoyant que la cession de dette doit être constatée par écrit à peine de nullité. Cette disposition s’appliquera aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2018.
La version actuelle de l’article 1327-1 comportait une maladresse de rédaction qui avait été relevée par la doctrine. En effet, la rédaction issue de l’Ordonnance énonçait « le créancier, s'il a par avance donné son accord à la cession ou n'y est pas intervenu, ne peut se la voir opposer ou s'en prévaloir que du jour où elle lui a été notifiée ou dès qu'il en a pris acte ». L’emploi du mot « ou » dans le premier membre de la phrase n’étant pas approprié, la nouvelle version du texte remplace ce mot par « et » ce qui donne « le créancier, s'il a par avance donné son accord à la cession et n'y est pas intervenu, ne peut se la voir opposer ou s'en prévaloir que du jour où elle lui a été notifiée ou dès qu'il en a pris acte ». Cette nouvelle rédaction a plus de sens que la rédaction initiale qui, prise littéralement, n’en avait aucun. Ainsi, selon la nouvelle rédaction, ce n’est que lorsque le créancier ayant donné son accord par avance à la cession n’est pas intervenu à l’acte de cession que la cession doit lui être notifiée pour lui être opposable. Une interprétation littérale a contrario de l’ancienne rédaction pouvait conduire à conclure que dans le cas où le créancier n’était pas intervenu à l’acte de cession, la cession lui serait opposable après notification, et ce alors même qu’il n’aurait pas donné son accord au principe de la cession.
La nouvelle version de l’article 1328-1 vient préciser que lorsque le débiteur originaire est déchargé par le créancier, les sûretés consenties par le débiteur originaire (en plus des sûretés consenties par des tiers comme le prévoyait déjà le texte issu de l’Ordonnance) ne subsistent qu'avec leur accord. La modification apportée à l’article 1328-1 est donc le pendant, pour la cession de dette, de la modification apportée à l’article 1216-3 pour la cession de contrat.
6 - Paiement d’une obligation en monnaie étrangère
L’article 1343-3 issu de l’Ordonnance, sans bouleverser pour autant le droit monétaire, apportait une précision utile en énonçant qu’une obligation de paiement peut être souscrite en une devise autre que l’euro. Cette précision était bienvenue car la construction jurisprudentielle qui opérait une distinction entre monnaie de compte et monnaie de paiement n’était pas adaptée à toutes les situations. L’article 1343-3 posait toutefois une condition. Pour qu’un paiement puisse avoir lieu dans une monnaie autre que l’euro encore fallait-il que l’obligation procède d’un contrat international. Aucune définition du contrat international n’était toutefois donnée dans le Code civil et certains ont pu craindre que pour des opérations financières conclues entre deux contreparties françaises l’on puisse contester que le contrat fût international. Les travaux parlementaires révèlent que les réflexions sur cette matière qui est plus technique qu’il ne semblerait à première vue, ont été nourries. Le résultat est satisfaisant. Le critère du contrat international est abandonné au profit du concept plus large d’ « opération à caractère international ». Une deuxième exception vient par ailleurs valider un paiement en devise « s’il intervient entre professionnels lorsque l’usage d’une monnaie étrangère est communément admis pour l’opération concernée ». L’article 1343-3 modifié s’appliquera aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2018.
7 - Application de la loi dans le temps
La Loi de Ratification entrera en vigueur le 1er octobre 2018. Elle opère une distinction entre les dispositions apportant des modifications de fond, applicables aux actes juridiques conclus ou établis à compter de cette date, et les dispositions ayant un caractère interprétatif. Dans la mesure où le texte est silencieux sur la date d’entrée en vigueur de ces dernières dispositions, il faudra vraisemblablement faire application de la jurisprudence selon laquelle la loi nouvelle interprétative fait corps avec la loi interprétée et prend donc effet au jour où cette dernière prend elle-même effet (Cass, Civ. 3, 1 février 1984, n° 82-16853).
Il devrait donc y avoir trois régimes différents de droit des contrats : le régime antérieur à l’Ordonnance, pour tous les contrats conclus avant le 1er octobre 2016, les contrats soumis à l’Ordonnance, c’est-à-dire conclus à partir du 1er octobre 2016 et les contrats soumis à l’Ordonnance telle que ratifiée, c’est-à-dire conclus à compter du 1er octobre 2018. Il y a fort à parier que ces différentes séquences temporelles seront génératrices de complexité, même si les modifications apportées à l’Ordonnance par la Loi de Ratification demeurent mineures.
En conclusion, la Loi de Ratification, tout comme l’Ordonnance, ne modifie pas le droit français des contrats en profondeur : la plupart des nouvelles dispositions viennent codifier la jurisprudence antérieure, tandis que les nouveautés sont fréquemment supplétives de volonté.
A des fins de lisibilité, un tableau reprenant les changements apportés par la Loi de Ratification est annexé à la présente alerte.