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Droit de la concurrence : la responsabilité au sein des groupes de société évolue

Le droit de la concurrence s’applique aux « entreprises » qui offrent des biens et services sur le marché. Cette notion est décorrélée de celle de société, ce qui permet notamment d’éviter que seules soient tenues pour responsables des pratiques anticoncurrentielles des « coquilles vides » créées spécifiquement aux fins de participer à des comportements anticoncurrentiels.

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a, en 2021, clarifié les règles applicables en la matière à deux cas d’espèce : la mise en œuvre de la responsabilité de la société mère du fait de ses filiales, et la possibilité pour les victimes d’une pratique anticoncurrentielle d’attraire, devant les juridictions nationales, non pas la mère participant à l’infraction mais l’une de ses filiales.

Une société mère est présumée responsable des agissements de sa filiale 

Depuis l’arrêt Akzo de 20091, il existe une présomption réfragable selon laquelle une société mère peut être tenue solidairement responsable, avec sa filiale détenue à 100%, des comportements anticoncurrentiels de cette dernière, alors même que la société mère n’aurait pas participé à l’infraction2. Cette présomption a ensuite été élargie pour s’appliquer aux situations où la société mère détient la quasi-totalité du capital de sa filiale (par exemple, 96%), que cette participation soit directe ou indirecte.

C’est un nouveau pas qu’a franchi la CJUE en janvier 2021, en étendant cette présomption non plus uniquement à une détention capitalistique, mais également à la détention de la totalité des droits de vote de la filiale3. Pour la Cour, une société mère détenant l’ensemble des droits de vote associés aux actions de sa filiale se trouve dans une situation analogue à celle d’une société détenant la (quasi-)totalité du capital de la filiale, permettant à la première de déterminer la stratégie économique et commerciale de la seconde.

L’élargissement de cette présomption peut avoir des conséquences importantes pour les sociétés, en particulier pour les investisseurs financiers, dès lors que la présomption d’exercice d’influence déterminante est très difficile à renverser. La Cour de cassation a ainsi déjà, à titre d’exemple, considéré que le caractère d’holding non-opérationnelle coordonnant uniquement des investissements financiers au sein d’un groupe ou la non-immixtion de la holding dans les activités de la filiale ne permettaient pas de renverser la présomption4.

Pour autant, difficile ne signifie pas impossible pour le Tribunal de l’Union européenne, qui a déjà pu relever qu’une société mère peut renverser la présomption si elle parvient à démontrer qu’elle constitue un « simple investisseur financier », à savoir un investisseur qui s’abstient de toute implication dans la gestion de la filiale et dans son contrôle5… sans pour autant indiquer dans quelles situations une telle hypothèse pourrait être remplie.

Toutefois, même en cas de participation minoritaire, la société mère n’est pas à l’abri d’être tenue solidairement responsable du comportement anticoncurrentiel de sa fille si l’autorité de concurrence parvient à démontrer l’exercice effectif, par la mère, d’une influence déterminante sur sa fille. On compte, au nombre des indices retenus par la jurisprudence, le pouvoir de nommer et révoquer les administrateurs du conseil d’administration de la fille, l’information régulière de la mère de la stratégie commerciale de sa filiale, ou encore l’importance du rôle joué par la mère dans la politique commerciale de sa fille.

Or, qui dit responsabilité solidaire, dit également paiement solidaire de la sanction pécuniaire par la mère, bien que cette dernière n’ait pas participé – ou n’ait pas eu connaissance – du comportement infractionnel de sa filiale.

Par ailleurs, la notion d’entreprise permet à l’autorité de concurrence d’appliquer les règles relatives à la récidive au groupe dans son ensemble et d’imposer des sanctions financières plus importantes, et aux victimes de la pratique anticoncurrentielle d’intenter une action contre l’une ou l’autre des sociétés devant une juridiction nationale dans le cadre des actions en contentieux indemnitaire.

Demander réparation à une filiale non sanctionnée par une autorité de concurrence pour une infraction commise par sa mère est désormais possible

Le risque pour une filiale d’être tenue responsable du comportement de sa société mère existe par ailleurs. Par un arrêt d’octobre 2021, la CJUE a reconnu qu’une victime de comportement anticoncurrentiel, sanctionné par une autorité de concurrence, peut attraire devant les juridictions non pas la société mère, partie à l’infraction, mais l’une des sociétés de son groupe, pour autant que les deux sociétés font partie de la même « unité économique », au sens du droit de la concurrence, et qu’il existe un lien concret entre l’activité économique de la société filiale et l’objet de l’infraction dont la mère a été tenue responsable6. Cette jurisprudence peut faciliter les actions des victimes en leur permettant, par exemple, d’assigner des sociétés établies sur leur territoire plutôt qu’à l’étranger.

Sauf à ce qu’une autre décision d’une autorité de concurrence ait conclu à l’existence d’une « unité économique » entre la mère et sa filiale, il appartiendra néanmoins à la victime d’apporter la preuve devant la juridiction saisie de l’existence d’une telle unité économique, par exemple en démontrant que l’accord anticoncurrentiel auquel la mère a pris part concernait les mêmes produits que ceux commercialisés par la filiale.

La prudence est donc de rigueur et peut justifier des audits réguliers au sein du groupe…

*Article publié dans le numéro du 27 janvier 2022 de L’AGEFI et disponible en ligne ici.

1C-508/11 P, Eni / Commission, 8 mai 2013.
2C-97/08 P, Akzo Nobel e.a. / Commission, 10 septembre 2009.
3C‑595/18 P, The Goldman Sachs Group / Commission, 27 janvier 2021.
4Cass. Com., 18 octobre 2017, n°16-19.120.
5T-392/09, garantovaná / Commission, 12 décembre 2012.
6C-882/19, Sumal, 6 octobre 2021.